A qui appartient Paris (2024)

C'est l'un des plus beaux appartements de Paris. Situé quai Voltaire, il surplombe majestueusem*nt la Seine, et l'immense baie vitrée, qui laisse entrevoir une bibliothèque somptueuse, fait rêver les flâneurs. Qui habite ce logement sublime?

L'heureux propriétaire n'a jamais voulu répondre aux curieux qui sonnaient à sa porte.En parcourant les 10 540 hectares de la capitale, avec ses rues et ses porches derrière lesquels se cachent jardins privatifs, appartements luxueux et secrets de famille, de nombreux promeneurs se demandent qui possède la capitale. En général, leurs suppositions se révèlent être assez éloignées de la réalité. L'Eglise? Toujours citée parmi les propriétaires les plus opulents, elle n'est à la tête maintenant que de 80 hectares de terrains et de bâtiments plutôt vétustes. Les étrangers? Ils ont cessé depuis 1990 de jouer au Monopoly parisien. En fait, le premier propriétaire de la capitale, c'est tout simplement la ville elle-même, qui détient près de la moitié de la surface de Paris. De cette richesse, les controverses autour de l'appartement d'Alain Juppé et des locataires hautement privilégiés du domaine privé ont donné un petit aperçu.

Les deuxièmes grands possédants de la capitale sont les propriétaires et les copropriétaires privés, suivis des sociétés commerciales, des investisseurs institutionnels et de l'Etat. Pourtant, la crise de l'immobilier pourrait bien bouleverser ce classem*nt, et modifier la typologie de la propriété à Paris. Au désengagement des entreprises publiques, à la pause de la ville, s'oppose le dynamisme des habitants, qui grignotent mètre carré par mètre carré des parcelles de la capitale.

Ce fut la vente de tous les records: le 28 janvier dernier, la chambre des notaires a adjugé un 5-pièces rue de Seine pour 5,4 millions de francs, tandis qu'un 57 m2 rue Bonaparte partait à 3 millions. Les appartements du domaine privé de la ville mis en vente ce jour-là ont rapporté 26 millions. Et ce n'est pas fini. Né en 1860 de la volonté du baron Haussmann d'amener la rue de Rennes jusqu'à la Seine, ce parc secret a été constitué à la suite de l'expropriation de nombreux propriétaires. Aujourd'hui, il est intégralement à vendre: «La moitié des 1 389 logements seront cédés, au fur et à mesure de la libération des baux. Le reste rejoindra le parc social de l'Opac, qui gère déjà 83 200 logements», précise Jean-François Legaret, le «liquidateur du domaine privé». Mais cette partie ne représente que 0,84% de l'immense réservoir foncier et immobilier de la ville. Car, en plus des bois de Vincennes et de Boulogne, des ponts et des jardins, la mairie a acquis depuis quinze ans plus de 200 hectares de terrains. Parfois sans discernement: «Nous avons acheté des bouts d'immeuble sans avoir de projets précis. Nous allons les revendre», affirme Anne-Marie Couderc, ministre déléguée à l'Emploi et responsable de l'urbanisme à la mairie. En revanche, la ville ne renie pas sa politique de zac (zone d'aménagement concertée) même s'il est «temps de marquer une pause», comme le concède la ministre. La plupart des opérations ont dû être revues et corrigées à la baisse, telle Paris Rive gauche, qui couvre 130 hectares.

Cette soudaine prudence de la ville ne fait pas l'affaire de la SNCF, qui cherche à «valoriser tous ses actifs». Gros propriétaire avec 70 hectares de réserves foncières, la SNCF est déjà partenaire des principales opérations en cours, dont Paris Rive gauche ou la zac Citroën. Toutefois, afin de poursuivre rapidement son désengagement, elle doit commencer à aménager elle-même ses terrains.

Moins riche, mais nettement mieux organisée, l'Assistance publique (AP) sait rentabiliser son patrimoine. Pour financer l'hôpital Georges-Pompidou, un établissem*nt de 35 000 m2, prêt en octobre 1998, elle a ainsi vendu 40% des terrains de Boucicaut, Broussard et Laennec: «Nous avons une vraie logique de gestion du patrimoine, il nous faut soit le valoriser, soit le vendre», insiste Réginald Allouche de l'AP.

Les institutionnels se désengagentMême souci de rentabilité à la RATP, qui cède tous ses actifs inutiles. Aucune parcelle disponible n'est laissée à l'abandon: les centres de bus, comme celui de la rue Lemercier(XVIIe arrondissem*nt), ou les ateliers de matériel roulant, comme celui de la rue Championnet (XVIIIe), sont étudiés à la loupe. Mais la grande affaire de la RATP est l'opération Alésia-Montsouris (XIVe), de 950 logements, prévue pour 2001 en dépit de l'opposition de certains habitants du quartier qui critiquent le gigantisme des travaux. En revanche, l'ancien siège de la Régie, 10 000 m2 quai des Grands-Augustins (VIe), en vente depuis un an, ne trouve pas preneur.

Jamais, il y a seulement sept ans, les compagnies d'assurances n'auraient laissé passer un immeuble si bien situé. Cependant, les institutionnels, échaudés par la crise de l'immobilier de bureau, se désengagent franchement du secteur. L'année 1996 a été de ce point de vue exemplaire. Les AGF ont vendu d'un coup le tiers de leur patrimoine, tandis que l'UAP a cédé 1 400 appartements. Le 14 mars, l'assureur a signé l'acte de vente de 12 immeubles pour 355 millions de francs.

Dans cette course au désengagement, les moins bien lotis sont les héritiers, ceux qui possèdent un immeuble ou davantage. Les plus gros propriétaires de Paris, en 1950, c'étaient eux: ils ont déjà perdu plus de 60 000 immeubles en quarante-cinq ans. Car ces fortunes personnelles ont vite fondu au gré des successions: «La loi est faite pour qu'en trois générations le patrimoine disparaisse», constate, amère, l'une des rescapées. Les droits acquittés en cas d'héritage sont en effet exorbitants: «Pour un immeuble de 10 millions, calcule Patrice de Moncan, le fisc réclame 2,5 millions.» Alors, les propriétaires sont, pour la plupart, contraints de vendre. Aujourd'hui, ils ne le peuvent même plus. Depuis, en effet, que les marchands de biens, qui achetaient tout à prix d'or, se sont assagis, ils ne trouvent plus d'acquéreurs. En 1997, la majorité des 19 000 propriétaires restants doit garder ses biens.

Qui va donc racheter Paris? La ville, malgré sa circonspection actuelle, continuera probablement d'acquérir les derniers terrains disponibles. Les étrangers recommencent à investir depuis l'an dernier, mais, surtout, les copropriétaires sont en train de racheter peu à peu la capitale. D'ici à ce que le Paris de l'an 2000 leur appartienne...

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Author: Lilliana Bartoletti

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